« Retour à Essaouira », un projet entre quatre yeux
Immergés tous deux dans la médina d’Essaouira au mois d’aout 2011, la ville tour à tour ronronne dans la torpeur du ramadan, puis explose de vent, de soleil et de fête. De ce temps hors du temps, hors des murs, surgissent des mots et des images. Vifs, en noirs profonds et blancs éblouissants. Il n’y a plus de place pour la couleur. Les mots parlent de vent, de mouvement, font naître une bande-son presque inquiétante. Les images emboitent le pas cadencé de ces déplacements feutrés dans les ruelles, des rythmes syncopés des darboukas et du battement des vagues. Il lui demande de photographier le vent, l’odeur de la menthe, le chant du muezzin, le trouble des cœurs, les rythme des pas. Elle lui suggère d’écrire la lumière, les matières, les murs qui entourent et la mer qui menace, le silence et les cris, la houle du désir. Le texte et les photos offrent des regards croisés, amoureux et décalés.
Retour à Essaouira, texte de Mathieu Arndt
« D’où vient que tes murs de sel brillent dans le vent comme un lointain souvenir ? Les mouettes se taisent tandis qu’un par un les muezzins s’élancent, chaque voix, chaque modulation, chaque emphase différente des autres.
Mouette, muezzin. Ramadan les airs
Envol du cri à peine contenu des âmes emprisonnées. L’esprit s’élève-t-il ou le ciel vient-il à nous ? Voudrait-il nous écraser que nous le percerions de nos chants, de nos minarets, de nos cimeterres et de nos dards.
Dard, dar. Ramadan l’enceinte de la Médina
Les savates traînent dans le silence des rues, signant chaque passage d’un rythme unique. Parfois l’éclat âpre d’un mot frotte la lumière et se réverbère dans le dédale. Râpée, sifflée, crachée, la conversation se déhanche mollement sans feutrer ses pointes ni atténuer le fil de ses larmes aveuglantes. Dehors les murs, la mer bat une mesure infinie sur la peau de la ville qui résonne et vibre, cage thoracique d’un fossile géant. Quelle créature a échoué ici sur la plage balayée d’écume ?
Crâne, choukrane. Ramadan et Eve
Aphrodite en croûte de sel, Vénus véliplanchiste, Leïla en mousse de voile. Miel, cannelle, amande et figue, la peau relevée en dunes frémissantes, striée de henné, les cheveux d’ange déchue roulant en cascade de santal sur l’arrondi couronné de seins d’épice. Une poussière de cumin saupoudre l’éventail du ventre fécond qui gronde et tambourine, le vase s’écoule en entonnoir sur une botte de menthe dans la touffeur maritime. La cheville nerveuse survole la rue inégale plus qu’elle ne la foule.
Zeph’, bézef. Ramadan se du ventre
Du vent dans les voiles, la vapeur dans les hammams et la paix dans les chaumières malgré le trouble des cœurs. La raison chavire dans la houle du désir, les hanches tanguent, la langue calanche dans un dernier soupir, bien pendue comme un voleur d’innocence sur la place pubique. Il manque une aile à la pudeur, qu’on le hurle sur les toits !
Salam, sale âme. Ramadan creuse
Les mots roulent en syncope sur la darbouka, dromadaire déjanté qui avance sur un air de guembré. Malade ou défoncé, atterré ou éthéré, qu’importe ? La transe habite le corps, la tête est une coquille qui balance, fragile paratonnerre fiché sur l’édifice branlant d’un squelette éclaté. Les pieds martèlent le sol en mesure hallucinée, vomissure d’étincelles, comète, ciel étoilé. D’où vient que tes murs de soleil brillent dans la nuit comme un rêve oublié ?
Quel est ton nom, désir étranger ? »