Un portrait du Cambodge

S’inspirant d’une tradition qui attribue une couleur à chaque jour de la semaine, cette série propose un portrait singulier du Cambodge d’aujourd’hui au travers d’étranges figures poétiques, colorées et loufoques. Ce pays a subi pendant les cinq années sombres de la présence des Khmer Rouges à sa tête une guerre civile dont les traces sautent aux yeux immédiatement lorsqu’on y séjourne et que l’on a la moindre conversation avec des cambodgiens de tous âges. Guerre sans images, qui a éliminé toute trace du passé, éradiqué les intellectuels et artistes d’une génération entière, elle laisse un pays en morceaux et une société en miettes, muette et aveuglée. Les témoins manquent pour raconter, un quart de la population a été massacrée en quatre ans, un autre quart a fui. Les albums de familles, les documents et les archives ont été détruits sur ordre du Kampuchéa démocratique.

La tradition

On avait coutume de porter le dimanche du ក្រហម rouge, le lundi du លឿងទុំ jaune-orangé, le mardi du ស្វាយ violet, le mercredi du ស៊ីលៀប vert clair (couleur de Nauclea cadumba, un arbre recherché car on y trouve les insectes servant à produire la laque). Le jeudi du បៃតង vert, le vendredi du ខៀវ bleu et le samedi du ព្រីងទុំ violet foncé, couleur de prune de Java mûre. Cette tradition n’est plus respectée que dans de très rares occasions.

Bophana

A cette palette s’est ajouté, voire imposé le « jour noir », couleur dont les Khmer Rouges on vêtu de force les cambodgiens. La jeune femme au regard de défi qui prête son visage à ce dernier personnage, s’appelait Bophana. Son portrait figure au S21, le centre de torture et d’exécution de Phon Phen parmi les milliers de photos anthropométriques par lesquelles les Khmers Rouges ont documenté leur massacre. Cette morbide collection constitue la rare iconographie de cette période sur laquelle s’est étendu un lourd voile noir de silence et de peur.

Rithy Panh

Le titre de la série est un hommage au film « L’Image Manquante », chef d’œuvre du cinéaste cambodgien Rithy Panh. Il écrit : « Certaines images doivent manquer toujours, toujours être remplacées par d’autres. Dans ce mouvement il y a la vie, le combat, la peine et la beauté, la tristesse des visages perdus, la compréhension de ce qui fut. Parfois la noblesse, et même le courage : mais l’oubli, jamais. »